Jun28

Par : Lyne Grenier

Par : Lyne Grenier

Un choix différent

À l'époque où j'ai débuté dans ce métier, la compagnie Domtar embauchait des femmes pour combler les écarts de représentation dans plusieurs postes majoritairement masculins, et ce, pour répondre aux exigences liées à la Loi sur l'équité en matière d'emploi[1]. Un dizaine de femmes, dont moi, ont été recrutées à l'interne cette année-là pour combler différents postes dans plusieurs départements. Avant 1997, quelques femmes avaient déjà accédé dans l'entreprise à des postes traditionnellement masculins, mais cette intégration était due au processus syndical et non à l'application de mesures positives d'accommodement.

J'ai posé ma candidature à ce poste pour plusieurs raisons, mais d'abord parce que le travail à l'extérieur m'intéressait : la possibilité de conduire de la machinerie lourde et le travail concret ont pesé pour beaucoup dans ma décision. Aussi, je me savais capable d'occuper un tel type d'emploi : j'avais confiance en mes capacités. Malgré cette belle confiance, j'ai vécu certaines difficultés, notamment lors du processus de recrutement. Je me rappelle, entre autres, que l'employeur a tenté d'ajouter des tests d'endurance physique aux critères de sélection, tests qui n'avaient auparavant jamais été exigés. Aucun homme n'avait été soumis à ce type d'exigence pour obtenir un poste au sein de l'entreprise. J'ai vu dans cette manœuvre une tentative de discriminer les candidatures féminines sur la base de la force physique. Heureusement, après quelques discussions avec le représentant syndical, l'employeur a décidé d'abandonner ce critère de sélection.

Acquérir et développer de nouvelles compétences

Une fois en poste, une formation, donnée à l'interne, était dispensée sous forme de compagnonnage. Bien qu'il soit généralement reconnu que la formule de compagnonnage permet de faciliter l'intégration en emploi, l'expérience a été pour moi parfois difficile : la pratique du compagnonnage chez Domtar exigeait des employés déjà en poste (tous des hommes) à prendre en charge les nouveaux dans leur département. Cependant, il s'agissait plus de jumelage que de compagnonnage. Certains faisaient le minimum requis en ce qui concerne l'accompagnement. Déjà instauré avant l'arrivée de femmes dans les postes traditionnellement masculins de l'entreprise, ce système de jumelage-compagnonnage n'a été l'objet d'aucune modification pour correspondre à notre réalité, nous les femmes. J'ai vécu des difficultés parce que mon compagnon ne me partageait pas toujours son expertise. Il me disait de faire telle ou telle chose, mais ne me m'indiquait pas comment m'y prendre. Cependant, certains se portaient volontaires pour agir à titre de compagnon. Lorsqu'ils étaient volontaires, ils partageaient facilement leur expérience et faisaient profiter les nouvelles arrivantes des trucs et informations utiles pour bien effectuer le travail. Pour pouvoir occuper un poste de préposée aux services extérieurs, la personne embauchée devait également obtenir un permis de conduire de classe 3, suite à une formation suivie en entreprise.

Au département des services extérieurs, tous les employéEs devaient être en mesure d'occuper les divers postes de travail, donc être polyvalentEs. Le matin, la personne responsable répartissait les postes par ordre d'ancienneté. Vous pouviez vous retrouver à conduire un 10 roues, un tracteur sur roues (loader), un bouteur (D-9), une niveleuse, un chariot élévateur ou un « roll-off », ou encore sur la locomotive comme aide-chauffeur train. Il y avait également un poste de journalier, qui consistait à répartir et à coordonner les activités de la journée afin que le travail soit exécuté selon les besoins.

Ergonomie et méthodologie : adapter le travail à la main-d'œuvre féminine

Je me souviens de certains outils ou équipements mal adaptés à ma situation. En raison de ma taille, je n'arrivais pas à serrer correctement les chargements sur les camions, car la prise pour la barre qui sert à bander les courroies était difficile d'accès, en raison de sa hauteur. Il a suffi de mettre une rallonge à cette barre pour régler le problème. Avec une meilleure prise et une meilleure portée, je pouvais utiliser mon poids et non ma force musculaire pour exécuter correctement la manœuvre. Un autre exemple de problème relié à l'ergonomie est celui des capots des camions de transport en vrac (10 roues). Ces capots, très lourds même pour un homme de taille moyenne, ont été modifiés à la suite de suggestions de la part du personnel : des poignées ont été ajoutées pour en faciliter l'ouverture. Ces changements se sont faits en collaboration avec le comité de santé-sécurité déjà en place, qui a permis la facilitation de l'adaptation de ces outils et postes de travail. La présence des femmes dans ces postes a permis de créer ou d'adapter davantage d'outils et d'équipements de travail pour le bien de l'ensemble des travailleurs et des travailleuses.

En ce qui concerne les méthodes de travail, je crois que la pratique du métier et l'expérience du poste sont nécessaires avant de pouvoir effectuer des changements appropriés, que l'on soit une femme ou un homme. Au début, j'avais l'impression de travailler comme les hommes. Après quelques années, j'ai pu adapter les méthodes de travail apprises et en développer d'autres qui me ressemblaient. Avec des méthodes différentes, j'arrivais au même résultat qu'eux : je travaillais enfin comme une fille!

Concilier famille et travail

Les excellentes conditions de travail offertes par Domtar à l'époque m'ont permis de gagner ma vie de façon à pourvoir aux besoins de ma famille sans me sentir toujours au bord du gouffre. J'étais mère monoparentale de trois jeunes filles et j'ai beaucoup apprécié les mesures de conciliation travail-famille existantes. Tous les programmes étaient là pour faciliter la conciliation. Ces mesures, utilisées principalement par les hommes pour les loisirs, ont retrouvé leur véritable vocation lorsque plusieurs d'entre eux ont vécu des séparations et se sont retrouvés pères monoparentaux à leur tour.

Les relations au travail, les avantages de la mixité

Dans l'ensemble, j'ai vécu avec mes collègues masculins des relations assez harmonieuses. Selon mon expérience, il faut tout de même éviter certains comportements à risque quand on se retrouve minoritaire dans un milieu d'hommes, comme de jouer à la séductrice ou encore afficher une attitude défensive ou agressive. Il faut savoir s'affirmer et se faire respecter, bien sûr, mais il faut aussi avoir une certaine souplesse d'esprit. Il faut savoir distinguer les propos volontairement sexistes, des blagues racontées pour détendre l'atmosphère : j'ai appris à prendre ces blagues, pas toujours plates, pour ce qu'elles sont et de ne pas me sentir offusquée ou froissée pour rien. Je trouve d'ailleurs que la communication avec les hommes est plus directe, plus terre-à-terre.

Je crois que la mixité a eu des impacts positifs à la fois pour les femmes et pour mes équipiers masculins : sur notre façon de travailler, sur les méthodes employées et sur les comportements. Nous sommes tous et toutes devenuEs plus sensibles, plus civiliséEs et avec un plus grand respect des autres. Les hommes ont appris à adoucir leurs propos, à être plus tolérants au travail. Avec le temps, je suis devenue une confidente pour certains collègues, peu habitués à partager leurs émotions au travail. Ça a permis de développer des liens entre nous, plus vrais et plus solides.

Une expérience positive

Malgré certaines difficultés d'adaptation et d'intégration, je garde un bon souvenir de ce travail que j'ai malheureusement perdu en raison de la fermeture de l'usine en 2005 : les avantages ont été supérieurs aux désagréments et difficultés d'adaptation. J'œuvre aujourd'hui dans un tout autre domaine, mais l'expérience que j'ai acquise dans cet emploi me sert : j'ai développé certaines qualités dites plus « masculines » qui me sont aujourd'hui très utiles dans mon travail. Je songe parfois à un retour dans un emploi traditionnellement masculin; le travail manuel me manque certains jours. Quand on occupe un poste comme celui de conductrice d'équipement lourd, lorsque la journée est terminée, on voit concrètement le travail accompli. Le soir, on dort sur nos deux oreilles, et ça, ça vaut de l'or !

[1] La Loi sur l'équité en matière d'emploi vise à faire en sorte que les employeurs sous réglementation fédérale offrent des chances égales d'emploi aux membres des quatre groupes désignés : les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles. http://www.chrc-ccdp.ca/employment_equity/default-fr.asp

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